Il y a quarante ans que le sculpteur catalan
Xavier Corbero édifie, près de Barcelone, une création aussi poétique
que labyrinthique : sa maison.
Vue du puits de lumière depuis le niveau le plus bas de la maison, endroit où l’effet de kaléidoscope est le plus vertigineux.
Par Christian Simenc, photo Jérôme Galland
C’est sa Sagrada Familia à lui. Un projet au long cours qu’il mène
depuis quatre décennies et qui n’est pas près de s’achever. Une maison
qui se développe à l’envi autour d’un profond puits de lumière. Un
incroyable dédale dont aucun visiteur occasionnel ne peut supposer
l’ampleur sans une visite méthodique assurée par le maître de céans,
Xavier Corbero, 74 ans, sculpteur. L’antre a séduit le cinéaste Woody
Allen, qui s’en est servi comme toile de fond pour plusieurs scènes de
son film Vicky Cristina Barcelona, sorti en 2008.
Vue à travers les arcades du « musée »,
l’escalier de bois qui mène au rez-de-chaussée de l’édifice et deux
sculptures signées Xavier Corbero, fines feuilles de marbre découpé.
Un chantier perpétuel Xavier Corbero a pensé ce lieu à l’instinct, « quelques traits sur de simples feuilles de papier millimétré. »
sans architecte surtout, de peur qu’il ne se lasse d’une proposition
qu’il n’aurait pas lui-même accouchée. En 1969, à Esplugues de
Llobregat, près de Barcelone, il achète une parcelle sur laquelle
languissaient des masures du XVIIe siècle. Il conserve quelques pans
anciens et fait démolir le reste. Ainsi débute son chantier perpétuel.
Le terrain est criblé de grottes et de galeries souterraines (Esplugues
en catalan), utilisées jadis par les romains.
Xavier Corbero, assis dans un fauteuil Nueva York (Tresserra).
Creuser en profondeur ne sera donc pas un problème. La parcelle étant
cernée par quatre rues, mieux vaut construire au milieu. D’où l’idée de
ce puits de lumière central pour éclairer naturellement le cœur de
l’édifice jusqu’à ses entrailles. En autodidacte éclairé, Corbero se
fixe un objectif simple : « Je voulais un espace pour pouvoir déployer mes sculptures, un lieu placide pour penser et écouter de la musique. » résultat : une folie qui dépasse aujourd’hui les... 5000 m2, dont la moitié sous terre.
Vue du garage. À gauche de la Rolls Royce
du propriétaire des lieux, quelques-unes de ses sculptures et un
escalier en colimaçon, posé comme une œuvre.
Une lumière mystérieuse la construction est exaltée, sur les toits
terrasses, par une invraisemblable collection de plantes grasses en
pots, partout ailleurs, par la végétation luxuriante des jardins de
pleine terre. Le puits de lumière, sur six niveaux, est la colonne
vertébrale de la folie Corbero. Il est construit sur une base circulaire
et les parois de verre qui l’entourent forment, elles, un octogone. « Le puits agit comme un kaléidoscope, précise le sculpteur : il joue avec les reflets et livre une lumière mystérieuse. » Il fait, en outre, office de cheminée favorisant la circulation de l’air qui rafraîchit l’atmosphère brûlante de l’été ibère.
Dans le jardin, une petite piscine intimiste avec, postée tel un pénitent, une haute sculpture en basalte de Xavier Corbero.
S’il est une figure architectonique qui prend ici ses aises, c’est bien
l’arc en plein cintre. Fenêtre, porte, niche, voûte, on en compte des
dizaines. Une véritable obsession, si bien que le visiteur a parfois
l’impression de déambuler dans un tableau de Giorgio De Chirico. « La courbe est moins insultante que l’angle droit, observe Corbero, elle génère une sorte de paix. »
À en juger par le nombre d’arcs, auxquels viendront s’ajouter la
centaine d’autres prévue dans l’aile supplémentaire actuellement en
chantier, le sculpteur doit sans aucun doute frôler le nirvana.
Escaliers infinis et pièces insoupçonnées autre élément récurrent :
l’escalier. Droit ou en colimaçon, il en existe, de belle facture, qui
conduisent d’un étage à l’autre. Et d’autres, qui jamais ne finissent.
Suites de marches qui ne mènent nulle part, constructions impossibles à
la manière d’un Maurits Cornelis escher.
Au premier étage, à droite d’un sculptural escalier en colimaçon, un petit bassin rond d’intérieur devant un lit bateau.
Parfois, une porte coulisse électriquement, faisant apparaître une
pièce improbable, puis un couloir et un bureau ou une chambre. Un
nouveau labyrinthe tisse sa toile en secret. Labyrinthe, spirale,
escalier ou sculpture en forme de ruban de Moëbius, les signes ne sont
pas anodins. Exploration de l’infini ? « La spirale est assurément
dans mon ADN, explique Corbero. Elle évoque une certaine idée de
continuité, quelque chose de métaphysique aussi. Quant à l’escalier : ne
faut-il pas monter pour arriver en haut ? » On l’aura compris, l’homme est un adepte du bon mot.
L’un des salons de la maison, entièrement habillé de bois clair et aménagé avec un mobilier de style Biedermeier.
L’espace, lui, est tout en sobriété. Outre les parois de verre et la
structure de béton, les planchers, parfois les murs et les plafonds,
sont habillés de longues traverses de bois clair. Le mobilier a été
choisi avec goût : ici, des antiquités chinoises, là, une banquette de
chariot amish. Xavier Corbero affectionne tout particulièrement le
mobilier biedermeier, un style à l’élégance discrète qui va comme un
gant à ce dandy patenté. Contre un mur, son dernier coup de cœur vient
d’être livré et attend sagement de trouver sa destination : six chaises
autrichiennes datant de 1820, achetées en décembre dernier chez
Sotheby’s à Londres.
Le puits de lumière prend origine dans la
salle basse, intitulée « le musée ». Au premier plan et à l’arrière
plan, on distingue plusieurs sculptures de basalte de Xavier Corbero. En
déambulant dans la maison, le visiteur, fatalement, parcourt l’œuvre de
Xavier Corbero.
Ses pièces sont, certes, présentes en nombre, mais sans pesanteur.
Architecture ou sculpture, tout, ici, est question d’échelle. « Si
vous trouvez la bonne échelle, l’espace arrête d’être spatial pour
devenir mental. Et cela est valable autant pour la sculpture que pour
l’architecture », affirme Corbero. Dont acte !
Dans le « musée », des sculptures, en
basalte sombre et en marbre blanc, s’affichent tels des totems. Vues du
dessus, elles dessinent des vocables. Ainsi, Nada (« Rien »), La mer ou Lamer, jeu de mots entre la mer en français et lamer (lécher en espagnole).
Au deuxième niveau de la maison, la
sobriété de l’ameublement, constitué d’un lit clos et d’une chaise
chinoise, contraste avec la luxuriance extérieure de la végétation qui a
littéralement envahi les terrasses.
Dans un coin bureau, derrière un fauteuil
haut sur pieds patins, un secrétaire de style Biedermeier voisine avec
un chiffonnier des plus contemporain (Tesserra). Entre les deux, une
sculpture signée Corbero, frêle disque de marbre blanc suspendu à son
mât.
Entre palmiers et yuccas géants se dévoile
la piscine aux carreaux de céramique bleu vif. Au fond, la maison et
ses grandes fenêtres en arches.
The maze Xavier Corbero
Forty years ago the Catalan sculptor Xavier Corbero builds, near Barcelona, as poetic as a labyrinthine creation: his house.
This is the Sagrada Familia in him. A long-term project that has for four decades and is nearing completion. A house that develops the environment around a deep well of light. An
incredible maze with no casual visitor can not assume the scale without
a methodical tour provided by the master of the house, Xavier Corbero,
74, sculptor. The
cave has attracted the filmmaker Woody Allen, who used it as a backdrop
for several scenes of the film Vicky Cristina Barcelona, released in
2008.
A perpetual construction Xavier Corbero thought this place to instinct, "a few lines on single sheets of graph paper. "Without an architect above all, lest he be weary of a proposal that would not itself given birth. In 1969, in Esplugues de Llobregat, near Barcelona, he bought a plot on which languished hovels of the seventeenth century. It retains some old parts and demolished the rest. Thus began his lifelong project. The plot is riddled with caves and underground (Esplugues in Catalan), once used by the Romans.
Digging depth is therefore not a problem. The plot is surrounded by four streets, better build in the middle. Hence the idea of the central skylight to naturally illuminate the heart of the building up her womb. In
enlightened self, Corbero sets a simple goal: "I wanted a space to
spread my sculptures, a placid place to think and listen to music. "Result: a madness that now exceeds ... 5000 m2, half underground.
A
mysterious light construction is exalted on flat roofs, with an
incredible collection of succulents in pots elsewhere by the lush
gardens of the ground. The skylight on six levels, is the backbone of madness Corbero. It is built on a circular base and the glass walls that surround form, they, an octagon. "The well is like a kaleidoscope, said the sculptor plays with reflections and book a mysterious light. "It is, moreover, a flue promoting airflow that cools the hot atmosphere of the Iberian summer.
If an architectural figure takes his ease here, it is the arch. Window, door, niche vault, we are tens. An obsession, so that the visitor sometimes feels to walk in a painting by Giorgio de Chirico. "The curve is less offensive than a right angle, Corbero observes, it creates a kind of peace. "Judging
by the number of arcs, which will add a hundred more planned in the new
wing currently under construction, the sculptor must undoubtedly graze
nirvana. Endless stairs and other parts unsuspected recurring element: the stairs. Straight or spiral, there are, well crafted, which lead from one floor to another. And others that never end. Suites of steps that lead nowhere, impossible to like a Maurits Cornelis Escher constructions.
Sometimes a sliding door electrically, showing an unlikely room, then a hallway and an office or bedroom. A new labyrinth weaves its web in secret. Maze, spiral staircase or sculpture shaped ribbon Moebius, the signs are not trivial. Explorations of infinity? "The spiral is definitely in my DNA says Corbero. It evokes a certain sense of continuity, something metaphysical as well. As for the stairs, it does not mount to reach the top? "It will be understood, the man is a follower of the right word.
Space, he is sober. In
addition to the walls of glass and concrete structure, floors,
sometimes the walls and ceilings are covered with long light wooden
sleepers. The furniture has been chosen with taste: here, Chinese antiques, then a bench Amish carriage. Xavier
Corbero particularly like the Biedermeier furniture, a style of
understated elegance that fits like a glove This patented dandy. Against
a wall, his last shot of heart has just been delivered and waiting
patiently to find his destination: Austrian six chairs dating from 1820,
bought last December at Sotheby's in London.
His pieces are certainly present in many, but not gravity. Architecture or sculpture, everything here is a question of scale. "If you find the right scale, space stops being space to become mental. And this is true both for the sculpture to architecture, "says Corbero. Duly noted!